mardi 23 juin 2009

Station no5




La Pangée, +/- 250MA av. J.-C.

Quand il s'agit de faire un voyage spatio-temporel, notre premier réflexe c'est de se dire que l'on n'aura jamais le culot de franchir les limites du raisonnable. Que nous garderons la tête froide en toutes circonstances, et ne nous laisserons pas emporter par notre enthousiasme.
Pfft! Rien n'est moins vrai.
C'était mal me connaitre que de penser que j'allais constamment voyager le pied sur la pédale de frein. Quelle parfaite méconnaissance de la nature humaine! N'est-il pas dit que l'homme peut difficilement se contenter de demi-mesure? Qu'en chacun de nous sommeille un mégalomane qui s'ignore. S'il en a les moyens, et si on lui en donne la chance, l'homme n'hésitera pas un instant à les dépasser, ces fameuses limites du raisonnable. J'en veux pour preuves les projets de génie civil qui se déclinent de plus en plus au superlatif. Les méga chantiers, méga structures, méga ci, méga ça...
J'imagine que vous avez compris le principe.

La Pangée est un vaste territoire qui sort de l'ordinaire. Ce n'est pas ce que l'on pourrait appeler une ville, un pays ou un continent. En fait il s'agit plutôt d'un supercontinent qui, à la fin du Carbonifère, était formé de la quasi-totalité des terres.
Il n'y a aucun moyen de s'y rendre. Il n'y a aucune chance que vous mettiez la main sur un cahier publicitaire vantant ses attraits touristiques et la chaleur de ses habitants. L'endroit n'est desservi par aucune compagnie aérienne. Vous auriez beau vous imaginer l'endroit le plus reculé sur Terre, rien ne s'en approcherait en terme de distance et d'exotisme. Pour aller la visiter, il vous faut faire un bond de 250 millions d'années dans le passé.
Bienvenue sur la terre des reptiles primitifs, à l'ère permienne.
Rien de trop beau pour la classe ouvrière!

Gorgonopsien.
Voilà une des raisons pour laquelle j'ai entrepris ce long voyage dans le temps. Je voulais en apprendre davantage sur cette créature cauchemardesque. Était-il aussi redoutable que ce que les spécialistes semblaient croire ? Quel était son mode de vie? Son mode de reproduction?

( Vous m'opposerez que certains spécimens de l'ère Jurassique étaient des animaux autrement plus impressionnants et fascinants sur lesquels j'aurais pu me pencher... c'est justement ça le problème, ils l'étaient trop. Je suis bien prêt à me sacrifier au nom de la science, mais pas au point de servir d'amuse-gueule à un Tyrannosaure fine-gueule ).

Pour ce qui est du Gorgonopsien, tout moumoune qu'il soit par rapport au T-Rex, je n'ai pris aucune chance, j'ai apporté avec moi un Teaser portatif... en souhaitant ne jamais me trouver assez proche de lui pour pouvoir l'utiliser. On est jamais trop prudent.

Dans les livres de paléontologie que j'avais consultés, il était mentionné que des fossiles de Gorgonopsiens avaient été découverts en Sibérie orientale, dans des strates géologiques correspondant à l'ère permienne. Armé de cette information je me suis muni d'une carte de la Pangée et y ai localisé l'endroit le plus susceptible d'abriter ces monstres préhistoriques.
J'ai voyagé léger car je savais la Sibérie de cette époque recouverte de vastes étendues désertiques. Justement, comme l'endroit est aride, j'avais de bien meilleures chances de repérer mon reptile si je me cachais près d'un plan d'eau. À l'instar de nos fauves qui arpentent la savane africaine, le bestiau n'avait pas le choix de tirer profit de cette manne providentielle s'il voulait survivre. Qui sait le nombre de jours qu'il allait devoir attendre avant de pouvoir de nouveau s'abreuver. De toute façon, c'était pour lui l'endroit tout indiqué pour tendre une embuscade à ses proies: eux aussi avaient besoin d'étancher leur soif.

( Ce n'est pas tout de connaitre les us et coutumes du Gorgonopsien encore me fallait-il débarquer du trou de ver à distance raisonnable d'un plan d'eau. Mais comment diantre contais-je m'y prendre, vous demandez-vous? Élémentaire mon cher Watson! Je n'ai eu qu'à incorporer un hydro-localisateur à mon engin spatio-temporel, et le tour était joué. Brillant, non? )

Si je me fie à ce qui m'entoure, je crois avoir assez bien réussi mon coup en ce qui a trait à la destination que je m'étais fixée. Pour ce qui est du moment, là, par contre, je ne peux jurer de rien. À cette échelle de grandeur, il suffit souvent de bien peu de chose pour se voir décaler dans le temps de quelques centaines de milliers d'années.
Histoire de m'amuser un peu avant de passer aux choses sérieuses, j'ai fait apparaître le chiffre incroyable de -247,049,732 sur la jauge chronométrique de mon engin... 'mettons, pour poursuivre dans le même délire, que je suis débarqué sur le supercontinent un mercredi, 8 avril, à 17 heures 47 minutes très précises.

À l'affut derrière un conifère primitif, j'observe la seule source d'approvisionnement en eau potable disponible à des lieux à la ronde. Pour l'instant, l'endroit est parfaitement désert. Il y a bien quelques insectes apparentés à nos libellules qui virevoltent au dessus du plan d'eau, mais pour l'essentiel, rien à signaler mon commandant. ( Heureusement que j'ai pas décidé de faire mon voyage au Carbonifère: les insectes y étaient autrement plus imposants. )

Il me faudra patienter près d'une heure avant de repérer les premiers animaux dignes d'intérêt. À première vue, ceux-ci me font penser à un croisement entre un caïman et une hyène. Je dirais qu'ils mesurent un pied, un pied et demi. Ils sont trapus et courts sur pattes. Leur peau est lisse et d'aspect rugueux. Leurs mâchoires supérieures sont dotées d'une paire de défenses et leurs pattes sont munies de longues griffes acérées. Je ne les avais pas encore remarqués parce qu'ils semblent passer le plus clair de leur temps sous terre. Maintenant que je les ai repérés, je me rends compte que l'endroit est percé d'innombrables petits trous dont le diamètre fait à peine la moitié de leur tour de taille. Ils semblent tous s'assurer d'être à courte distance de l'un de ces trous... au cas où les choses tourneraient mal, j'imagine. Ils sont herbivores et grognent comme des porcs. Ils occupent la niche écologique de la vache actuelle. Ce sont des animaux turbulents et querelleurs. Ils se disputent le moindre brin d'herbe se trouvant à portée de gueule. Ils se mordillent en poussant des petits cris rageurs.

Afin de correctement identifier les animaux que je risquais de rencontrer lors de mon bref séjour en Pangée, j'avais pris soin d'apporter avec moi des fiches signalétiques, agrémentées de croquis d'artistes. Je m'y réfère et découvre que j'ai affaire à des Thérapsides. J'y apprends que ce sont effectivement des herbivores. Je n'ai donc aucune inquiétude à me faire à leur sujet. Rassuré, je poursuis mon observation.

Alors que leurs congénères continuent à se chamailler, deux individus s'approchent timidement de la marre d'eau. Ils sont aux abois. Leurs museaux orientés vers le ciel, ils hument l'air environnant, en quête d'une odeur suspecte. Stoppant net leur progression, ils semblent justement avoir repéré quelque chose d'anormale. Leurs naseaux pointant dans ma direction, je me dis que c'est peut-être mon odeur qu'ils ont flairée. Je constate à mon grand désarroi que le vent m'est défavorable. Il provient directement de derrière mon dos. Je ne ferai décidément jamais un grand chasseur.

L'un des deux Thérapsides donne l'alerte en poussant un long cri strident. Ameutés, leurs frères de sang se dispersent dans le désordre et se précipitent tête première dans le premier trou se trouvant à leurs portées. Il ne s'est pas écoulée une minute que l'endroit est aussi désert qu'il ne l'était à mon arrivée. Bah, que je me dis, si le cœur leur en dit, ils peuvent ben aller piquer un roupillon, c'est pas pour eux que me suis pas déplacé de toute façon.

C'est sur ces sages paroles que je prends soudainement conscience de la chose la plus importante que j'aurais dû depuis longtemps savoir. La vraie raison pour laquelle ces animaux avaient soudainement détalé n'avait rien eu à voir avec moi. Il m'a suffit de bien peu de chose avant que je comprenne finalement de quoi il s'agissait. Il a suffit que le sol tremble autour de moi...

Captivé par le spectacle en cours, je n'ai jamais pris conscience du seul détail important sur lequel j'aurais dû, dès le départ, porter mon attention, à savoir que toutes traces de vie avait subitement disparu des environs. Les Thérapsides n'étaient pas les seuls animaux à avoir pris la tangente. D'aussi loin que je pouvais voir, il n'y avait pas l'ombre d'une trace d'activité animale. Comme s'ils avaient tous été aspirés par le vortex spatio-temporel qui me servait de véhicule de transport... pour aboutir Dieu ne sait où. Prenant conscience pour la toute première fois depuis le début de ma folle aventure, de la réelle possibilité qu'une telle chose puisse se produire, mon cœur est venu bien prêt cette fois-ci de vraiment s'arrêter de battre. Comment puis-je avoir été aussi insouciant? Ça aurait dû dès le départ me sonner des cloches. Non, mais c'est vrai, pensez-y une minute: si d'aventure vous auriez été à ma place, n'aurait-ce pas été l'une des premières questions que vous vous seriez posées?

Histoire d'en avoir le cœur net, je me précipite vers l'entrée du portail au pas de course. Bénit soit mon hydro-localisateur, je n'ai pas à courir très longtemps pour franchir la distance qui m'en sépare. Arrivé sur place, je commence tout de suite à étudier les mouvements péristaltiques qui devraient être visibles aux pourtours de l'entrée, si quelque chose avait franchit le seuil du portail. Par expérience, je savais sa membrane extérieure particulièrement sensible au changement de pression occasionné par le passage d'un objet. D'où l'étrange impression, lorsque l'on voyait l'engin pour la toute première fois, d'avoir affaire à une machine dotée d'une vie qui lui était propre.

Pour l'instant, tout semble normal. Il n'y a pas lieu de s'inquiéter.

Poussant un soupir de soulagement, je m'apprête à faire demi-tour pour regagner mon poste d'observation, quand j'entends derrière moi un grondement sourd et guttural. Les poils de mes avant-bras se dressent à l'unisson. Mes couilles se contractent et retraitent dans mon bas-ventre. Sentant l'imminence du danger, je fonce dans le trou de ver... au moment précis où le Teaser portatif que je porte à la ceinture ne glisse de son étui et ne tombe au sol.
Pas grave, que vous vous dites, le principal est que tu te sois tiré d'affaire.
Nan, nan, nan! C'est pas aussi simple que ça.

Le problème c'est que je ne peux d'aucune manière changer l'équilibre structurelle des choses qui franchissent le seuil du trou de ver. J'ai doté l'engin d'une mémoire atomique pour justement faire en sorte de ne rien oublier dans l'énervement du retour. Pour chaque atome qui franchit le seuil à l'aller, d'autant doit le franchir au retour. S'il y a discordance, l'engin m'interdit tout bonnement l'accès au trou de ver.

Donc, le Teaser s'est ramassé au sol au moment même où j'ai foncé dans la gueule du trou de ver comme dans un mur de brique. À demi assommé, je m'écrase de tout mon poids sur le sol heureusement sablonneux du désert. Je perds momentanément le souffle, mais n'en perds pas pour autant le sens des priorités et me remets prestement debout. Je repère le Teaser, qui git sur le sol, quelques pieds devant moi. Je suis sur le point d'aller le ramasser quand un souffle chaud au relents putrides de poissons pourris vient me lécher la base du cou. Je pense instinctivement à Steven Speilberg et à son parc Jurassique. Impossible, que je me dis, l'engin ne peut tout de même pas s'être trompé de dizaines de millions d'années. Les dinosaures ne devraient être pour l'instant qu'une vague hypothèse évolutive.

Un claquement de dents retentit directement au-dessus de ma tête. Transi d'effroi, j'ai l'impression d'avoir les deux pieds coulés dans le ciment. C'est à peine si je peux cligner des paupières. La bête géante ( je ne sais pas, et ne veux pas savoir ce que c'est ) émet un autre grondement sourd et caverneux.
Je n'y avais pas prêté attention sur le coup, mais maintenant que je sais la présence toute proche d'un saurien géant, je repère l'ombre monstrueuse projetée par sa silhouette sur le sable fin du désert. Il n'y a plus aucun doute possible. C'est bel et bien un dinosaure, et de la pire des espèces. L'espèce de ceux qui sont capables de vous couper transversalement en deux morceaux d'un seul coup de dents.
À l'évocation de ce qui risque de m'arriver si je ne récupère pas tout de suite le Teaser et ne me précipite pas aussitôt dans le trou de ver, mes jambes recommencent miraculeusement à reprendre du service. Allez savoir comment j'ai pu faire mon compte... toujours est-il que je me précipite comme un damné sur l'objet de ma convoitise, que j'empoigne fermement, pour ensuite me lancer à corps éperdu dans la gueule béante du trou de ver.

J'ai jamais été aussi heureux de retrouver la quiétude de mon appartement.

Pour ce qui est du Gorgonopsien, il peut toujours aller se faire cuire un œuf.

Prochaine destination: Roswell.






lundi 15 juin 2009

Station no4

Jérusalem, 7 avril 30.

Lorsqu'il s'agit de traverser les époques pour aller valider par soi-même un événement historique, la première chose utile à savoir avant de se lancer dans l'entreprise est la date précise à laquelle ledit événement a eu lieu ( de même que l'heure, si elle est disponible). Dans le cas de Dallas, tout le monde s'accorde pour dire que l'action s'est déroulée aux alentours de midi le 22 novembre 1963. Pour m'y rendre, je n'avais eu qu'à entrer les informations dans le l'engin spatio-temporel et le tour était joué.
J'aurais aimé que les choses soient aussi simples pour Jérusalem.

Avant d'aller plus loin j'aimerais souligner que j'ai longtemps hésité avant d'entreprendre ce périple en Terre sainte. Non seulement à cause des défis logistiques que cela allaient représenter, mais à cause surtout de la singularité du projet et de la possible perspective d'ébranler les fondements même du catholicisme. C'est pas que je sois un sceptique fini à la Dan Brown, mais avouez que si l'histoire de Jésus de Nazareth et de ses disciples s'avérait n'être rien d'autre qu'une construction de l'esprit, rapporter les faits tels que je les aurai vécus serait un exercice plutôt périlleux. On a frappé d'anathème des individus pour moins que ça.
Pour la toute première fois de mon existence, j'allais être confronté à un dilemme existentielle aux proportions bibliques - c'est le cas de le dire.
Question: Si tant est qu'il y en aient, devrais-je rendre public ou non les omissions, les inexactitudes, ou pire, l'absence d'événement, dont je risquais d'être témoin? Et ainsi causer une commotion parmi la cohorte de fidèles qu'accueillaient chaque jour en ses murs des milliers d'églises disséminées aux quatre coins du globe?
Les Évangiles sont la clef de voûte des cathédrales. Les mettre à mal reviendrait à redonner le libre-arbitre aux croyants, et ainsi encourir le risque de voir s'étioler leur foi indéfectible en un être suprême.
À grand pouvoir correspond grande responsabilité que disait l'oncle de Spider-man... Ainsi soit-il.

Donc, si je voulais voir ma mission couronnée de succès, il me fallait à tout prix connaître la date précise à laquelle Jésus de Nazareth était monté en croix. La réponse à cette question variait selon les interprétations que tiraient des Saintes-Écritures les exégètes de l'époque. Les évangiles selon Mathieu et selon Luc situe la naissance du Christ entre -9 et -2. Il n'y avait qu'une chose sur laquelle on pouvait être sûre: le Fils de l'homme serait né sous le règne d'Hérode, qui prit fin en 4 avant notre ère. Ce qui ramenait mon champ d'exploration à 3 ans. Étant donné que Jésus serait mort à l'âge de 33 ans, suffisait de faire un simple calcul mathématique pour en déduire l'année. Restait à trouver le moment précis dans l'année où il aurait été crucifié. Si je me fies aux Évangiles synoptiques, la crucifixion aurait eu lieu le jour de la préparation de la Pâque juive, que mes recherches ultérieures auront situé le vendredi 7 avril 30 ou le vendredi 3 avril 33, cette dernière date étant à mes yeux la plus susceptible d'être la bonne, si l'on considère que la naissance du Christ correspond à l'an un du calendrier grégorien.
Seriez-vous étonné d'apprendre que je m'étais trompé?
Me voici donc en route pour Jérusalem en date du 7 avril 30, 3hrs ( GMT +02:00 ).

Pour n'y avoir jamais mis les pieds, j'ignore à quoi peut ressembler la Jérusalem contemporaine. Une chose que je sais, par contre, c'est que Ariel Sharon, premier ministre d'Israël de 2001 à 2006, a fait ériger une barrière de séparation en 2005( qualifiée de mur de la honte par ses détracteurs ), entre Jérusalem et la Cisjordanie, dans le but d'empêcher toute intrusion terroriste palestinienne.
Le rapport avec le Jérusalem du début de l'ère chrétienne, que vous vous dites?
Eh bien, c'est la première chose qui m'a frappé en arrivant sur place. J'entends par là que la version antique de cette ville est de même ceinturée d'un mur de protection, sensé lui aussi empêcher toute invasion barbares. C'est fou comme les choses ont si peu évolué en 20 siècles.
Bon, voilà pour la portion éditoriale du billet. Passons maintenant aux choses sérieuses. Et Dieu sait qu'elles l'ont été.

Je débouche du trou de ver au Nord-Est de la Ville sainte, là où je sais s'y trouver le palais de Caïphe et de Anne, son beau-père. Si l'on en croit les Évangiles, Jésus doit déjà subir leurs interrogatoires à l'heure qu'il est.
Afin de ne pas attirer l'attention des vigies qui arpentent le périmètre de la ville, je me suis caché derrière un empilage de cageots remplis de légumes. Pour tout dire, j'ai la frousse. J'ai eu beau prendre mes précautions en revêtant une tunique, en me glissant des sandales aux pieds et en me brunissant la peau du visage à grand coup d'application de cire à chaussure, j'ai tout de même peur d'être démasqué. Sachant comment les Romains traitent leurs prisonniers, pas sûr que ça me tente de tomber entre leurs mains.
Je me faufile subrepticement à la faveur de la nuit entre les habitations de la ville pour rallier un endroit qui, je l'espérais, allait me permettre de voir de quoi il retourne de toute cette histoire de Messie, sans attirer l'attention. Comme il m'est impossible d'assister en personne à la comparution du ( Christ? ) devant Caïphe sans risquer d'y laisser moi-même des plumes je me contente d'aller attendre son arrivée dans la petite cour du Temple, là où Ponce Pilate allait plus tard demander aux juifs présents lequel d'entre lui ou de Barabbas ils souhaitaient voir libérer.

J'entends tout près résonner le champ du coq; d'instinct, je fais le rapprochement entre cet événement anodin et celui de Pierre qui devait renier trois fois le (Christ? ) avant la prestation du volatile. Est-ce le cas? Je ne peux en témoigner de l'endroit où je me situe. De toute façon, je ne suis venu ici que pour une chose, assister à la Passion. Le reste m'importe peu.

J'ignore combien de temps il s'est écoulé depuis mon arrivée dans la cour du Temple. Toujours est-il que, de ma cachette, je vois des gens commencer à pénétrer par petits groupes dans l'enceinte de la cour. Au fur et à mesure que la foule gagne en importance, je sens une certaine frénésie s'installer. Ils discutent à mots couverts tout en trépignant et jetant des regards inquiets en direction des centurions qui montent la garde. De part leurs attitudes, je prends note que les Romains n'éprouvent que mépris envers ceux qu'ils doivent surement considérer comme étant d'une race inférieure.
Comme un seul homme, tous les regards se tournent subitement vers un balcon qui surplombe la cour, plus loin sur ma gauche. Abrité derrière une colonne, je jette un coup d'œil dans cette direction, pour m'apercevoir qu'une dizaine de personnes s'y sont regroupées. Un homme se détache du lot. L'air suffisant et la démarche martiale, il s'approche de la balustrade. Sitôt atteinte, il déclame à haute voix tout en désignant un homme de sa main gauche: ecce homo ( voici l'homme! ) Une clameur s'élève de la foule. Ponce Pilate s'empare d'un manteau de pourpre que vient de lui tendre un subordonné, qu'il va déposer sur le dos du prisonnier.
Je suis conscient que le moment est mal choisi pour perdre les pédales, mais à la vue de celui que pointe du doigt Ponce Pilate, je ne peux m'empêcher de ressentir une profonde empathie pour le malheureux, doublé d'une haine primitive envers ceux qui sont responsables de son état. Il apparait évident que l'homme a subi une sévère raclée. Ceux qui lui ont infligés ses blessures n'y ont pas été avec le dos de la cuillère. C'est à peine si on peut distinguer ses traits derrière le masque sanguinolent qu'ils lui ont confectionné.

( L'analyse du ( saint-suaire? ) allait plus tard révéler que l'impression laissée par le visage de l'homme sur le tissu portait des marques de violence apparente, tels que la pommette gauche tuméfiée et excoriée, les arcades sourcilières enflées, le cartilage nasal cassé... ).

Écœuré, je m'interroge sur l'utilité d'assister à un tel spectacle. J'aurais tellement mieux fait de rester chez moi.

Dans la foule, c'est devenu la folie furieuse. On chahute et on se bouscule à qui mieux mieux. Glaive à la main, les gardes semblent sur le point de perdre patience et d'embrocher le premier venu. Un homme vêtu d'une tunique rouge ( Caïphe? ) lève le bras et pointe de l'index le ciel nuageux. Il beugle des imprécations en araméen, dont je ne saisis pas un traitre mot. Les juifs retrouvent leur calme comme par magie. Le prêtre fait volte-face et commence à fustiger le préfet qui, pendant tout ce temps, avait assisté au spectacle sans broncher. On lit une grande lassitude sur les traits de son visage. Tel que décrit dans les Évangiles, le préfet fait s'avancer à l'avant-scène un homme corpulent d'aspect repoussant. D'un geste las de la main, il fait signe à un de ses subalternes de faire s'avancer vers l'avant celui que je présume être Jésus de Nazareth, dit le Messie. Le préfet s'adresse à la foule tout en désignant à tour de rôle les deux prisonniers. Même si je ne saisis pas un traitre mot de ce qui se dit, je suis tout de même en mesure de décoder le langage non-verbal. Il apparait évident que la foule n'en a que pour ( Barabbas? ). Chose réglée, le préfet tourne les talons et disparait dans les entrailles du Temple avec sa suite. Un garde demeuré sur place retire les fers de Barabbas, qui les brandit au ciel en signe de victoire, alors qu'un autre agrippe ( Jésus? ) par les cheveux et l'entraine sans ménagement vers une sortie latérale.

Est-ce le Messie que l'on traine ainsi de force hors du Temple? Est-ce le thaumaturge dont on a souvent souligner les exploits? Celui qui portera sur ses épaules tous les péchés des hommes du haut de la croix?
Je suis incapable de répondre à ces questions. Tout ce que je peux dire c'est qu'il s'est effectivement passé un événement en ces lieux qui colle en partie aux Évangiles.
Oh, pendant que j'y pense: le supplicié que Ponce Pilate a pointé du doigt, contrairement à ce qui est écrit dans la bible, est imberbe. Un léger détail, j'en conviens, mais un détail qui mérite tout de même d'être souligné.

Je pourrais rester sur place encore quelques heures, assister au chemin de croix et à la crucifixion, mais à quoi bon. Tout ce que je risque de gagner pour ma peine c'est de me farcir une dépression nerveuse. Je suis disposé à me rendre utile en témoignant des choses du passé, mais pas au détriment de ma santé physique et mentale.
Donc, en ce jour d'avril 30 je remballe mon paquetage et me dirige d'un pas décidé vers l'entrée du désormais célèbre trou de ver. Je me faufile parmi la faune locale et en profite pour sortir de la cour du Temple incognito, sous les regards méprisants des gardes armés ( je ris sous cape de leurs jupettes ridicules ). Du moins avais-je cru rire sous cap... jusqu'à ce qu'un garde un peu plus dégourdi que les autres ne me repère dans la marée humaine, et ne m'intime l'ordre de cesser d'avancer. Comme je l'ai déjà mentionné, je suis assez habile à décoder le langage verbal. Il m'était inutile de connaître les subtilités de la langue locale pour savoir que le garde en question me réservait une surprise de son cru, qui n'avait rien à voir avec l'hospitalité que l'on réserve habituellement aux invités de passage. J'agrippe le rebord de ma tunique à deux mains, me débarrasse de chacune de mes sandales d'un coup de pied ( aie, ça va faire mal sur le gravier ) et me met à courir de toutes mes forces en direction du portail. Heureusement, celui-ci est tout près, et la masse compact des badauds allait couvrir ma fuite. Je pivote la tête et me rends compte que mon poursuivant s'est fait seconder par deux de ses confrères qui, eux, tentent de me coincer par la gauche. Aviser de cette tactique, je bifurque soudainement vers ma droite et me remets presque aussitôt dans la file, augmente la cadence de mes pas pour dépasser une dizaine d'individus, et braque subitement sur ma droite afin de rejoindre le Golgotha, qui est tout à côté de ma destination finale. On éructe et vocifère dans mon dos. Inutile de me retourner: j'ai une vague idée des faces de demeurés qu'ils doivent affichées. Les petits gravillons qui jalonnent mon parcours labourent la chair de mes pieds comme autant de petites aiguilles acérées. À un point tel que c'est plus sur les genoux que sur les pieds que j'atteins la base de la colline. Le visage ruisselant de sueurs et des lambeaux de chairs me pendant aux pieds, je jette un rapide coup d'œil derrière moi, pour m'apercevoir que les brutes qui étaient à mes trousses ont abandonné la poursuite pour consacrer leur temps libre à la chasse aux juifs. Une dizaine de leurs confrères sont venus les rejoindre, et tout ce beau monde s'en donne à cœur joie avec la populace.
Rasséréné, je me relève avec précaution et m'en vais rejoindre l'entrée du trou de ver en claudiquant. Plus bas, sur ma gauche, sur l'invitation musclée des Romains, les gens ont commencés à se corder en rangs d'oignons de chaque côté de la route. La plupart d'entre eux braquent leurs regards vers un point situé hors de ma vue. Des cris fusent de la foule. L'agitation règne en maître.
Les Romains font preuves de nervosité, ce qui ne leur ressemble guère.
L'objet de curiosité sors de derrière le feuillage des oliviers matures, en contre-bas.

Et je vois...
Le supplicié...
Patibulum sur les épaules...
Couronne d'épines sur la tête...
Tunique en lambeaux sur le dos...

Est-ce le fils de Dieu?
Je ne suis pas plus avancé que je ne l'étais en arrivant.
Frustrant!

Prochaine destination: la Pangée.

















lundi 1 juin 2009

Station no3

Rimouski, 3 juin 2010, 21h. 42

Après l'expérience traumatisante de Dallas, je me suis dit qu'un petit voyage bien peinard dans un coin reculé du Québec ne pourrait me faire que le plus grand bien. C'est pas que je sois particulièrement moumoune mais avouez que d'assister à une mise-à-mort en direct a de quoi ébranler son homme. C'est donc avec le cœur léger et l'esprit guilleret que je me lançai dans une folle envolée vers un futur pas trop lointain, dans un coin de pays exempt de tragédie humaine, en quête d'informations sur l'actualité nationale. J'aurais pu aboutir n'importe où au Québec, mais comme je n'avais jamais mis les pieds dans cette région, je me suis dis que cet endroit en valait bien un autre.
Qui n'a pas au moins une fois rêvé de connaître l'avenir à cours terme? Celui à portée de main. Juste là, à pareille date, de l'autre côté du calendrier.
Seriez-vous étonnés d'apprendre qu'il peut s'en passer des choses en si peu de temps? Faites l'exercice: essayez de vous rappeler les événements marquants de la dernière année. Pour faciliter l'exercice, disons que nous nous attardions que sur les décès des personnalités publiques. Sur les quelques dizaines de personnes concernées combien serions-nous en mesure d'en identifier? Bien malin serait celui capable d'en identifier, disons la moitié. Quand vient le temps des rétrospectives de fin d'année, on est toujours surpris de constater à quel point notre mémoire nous joue des tours. Étonnés par le nombre effarant de personnes que l'on croyait, soient déjà mortes, soient bien portantes.

En ce jour de juin 2010, à Rimouski, le temps est à l'orage. Aussitôt arrivé sur place je me précipite au dépanneur le plus près et y achète le journal de Montréal. Je repère une table dans un coin de la pièce. Je vais m'y asseoir et commence à feuilleter le quotidien.

Le tiers de la Une est consacrée à Vincent Lacroix. Sa photo est coiffée du titre: Le visage de l'injustice. Je me rends en page trois et lis l'article en question, dont je joins ci-contre un fac-similé.
On constate que ceux qui entretenaient des doutes quant au respect de l'intégralité de la peine infligée à Lacroix avaient de bonnes raisons de s'en faire.
Le triste sire aura non seulement réussi à s'en mettre plein les poches, mais qui plus est grandement bénéficié des largesses de notre système judiciaire, qui encourage la réhabilitation au détriment de la punition.

On apprend en page 7 que l'une des animatrices du jeu télévisé Call Tv diffusé sur les ondes de TQS, ( pourfendu par de nombreux détracteurs qui ne voient dans cette émission qu'un miroir aux alouettes des temps modernes ) a été victime d'un écrasement d'avion, tôt dimanche matin. Le Cessna Skyhawk à bord duquel prenait place la jeune femme se serait écrasé en plein cœur de la forêt Laurentienne, à moins d'un kilomètre au Sud-Est des chutes Wilson. Les deux passagers du petit monomoteur étaient déjà morts à l'arrivée des secouristes. Selon les premières constatations, il semblerait que l'appareil aurait eu une défaillance mécanique.

Dans le domaine de l'insolite, un ado de treize ans de Eau Claire, Wisconsin, se serait vu interdire l'accès à la salle de bains familiale parce que, dit-on, ses déjections seraient tellement nauséabondes que des larmes d'inconfort auraient commencé à perler aux coins des yeux d'une statue de la vierge Marie, présente dans la pièce.
T'iras te soulager dans le bois que lui aurait dit son père en guise de réprimande.

Sur la scène judiciaire, c'est le procès intenté par un couple de libertin à l'endroit d'Hydro-Québec qui retient l'attention. Les plaignants allèguent que la société d'État est responsable de l'échec de l'une de leur prestation sexuelle, et lui réclame de ce fait 345,000$ pour... perte de jouissance. L'homme étant bricoleur à ses heures, il aurait décidé, sous l'insistance de sa partenaire du moment, de tripatouiller le vibrateur de madame afin de pouvoir le brancher sur le circuit électrique. Le problème ( d'où la poursuite contre Hydro ), c'est qu'au moment même où la dame est sur le point d'atteindre l'orgasme, une panne d'électricité survient dans la région. L'homme a beau y mettre plus d'entrain dans le mouvement, rien n'y fait, la femme voit son moment de grâce lui filer entre les doigts.
Dis donc...

Sur le plan artistique, ce sont les membres du groupe Beau Dommage et la rumeur selon laquelle ils seraient sur le point d'enregistrer un nouvel album qui fait la manchette. Questionnée sur le sujet, Marie-Michelle Desrosiers s'est bornée à dire que '' dans la vie, tout est possible ''. Une réponse préfabriquée qui a fait tiquer l'auteur de l'article, qui ne se gêne pas pour vilipender l'artiste, ainsi que de remettre en question son équilibre émotionnel.
Bon sang...

La section sportive du journal de Montréal consacre la majeure partie de son espace éditorial à la finale opposant les Canadiens de Montréal au Blues de St-Louis. Les Blues mènent la série trois victoires contre une défaite. Le prochain match aura lieu ce soir au Centre Bell. Ennuyé par une blessure à l'aine depuis deux matchs, le capitaine de l'équipe, Marian Hossa, sera de l'alignement partant. Au dire des scribes, tous les espoirs sont permis. Ne reste plus qu'à solutionner le cas de Kovalev, qui semble plus empressé à aller rejoindre ses compatriotes en Russie qu'à livrer la marchandise sur la glace.

Le gros lot du 6/49 s'élève à 28 millions de dollars. La combinaison gagnante est le 2-3-9-14-31-46.

Prochaine destination: Jérusalem.



lundi 25 mai 2009

Station no2

Dallas, 22 novembre 1963, 12h 01.

De tous les événements tragiques qui ont émaillé l'histoire contemporaine, l'assassinat de John F. Kennedy demeure à mes yeux le parfait exemple de cover up institutionnalisé. Même si l'on est tenté d'attribuer la paternité de la désinformation à une certaine presse communiste, force est de constater qu'à ce chapitre, les autorités gouvernementales américaines sont loin d'être des novices en la matière. Qui n'a pas au moins une fois mis en doute la thèse officielle selon laquelle Lee Harvey Oswald ait été l'unique responsable de cet assassinat? N'a-t-il pas dit aux inspecteurs chargés de l'enquête n'avoir été qu'un pigeon dans toute cette affaire? Difficile de répondre à ces questions si l'on a pas été soi-même sur la scène de crime.

Je sais, pour l'avoir lu quelque part, que Oswald allait prendre position derrière la fenêtre Est du cinquième étage du dépôt de livres scolaires sur Elm Street à 12h 29 très précise. Armé de cette information, je décide d'arriver 30 minutes plus tôt, histoire de me familiariser avec les lieux et de m'imprégner de l'ambiance qui y règne. Le trou de ver me régurgite près d'un pergola, derrière une rangée de tilleuls longeant le côté droit de Elm Street.
Les gens ont déjà commencé à affluer. Ils se positionnent le long des rues que doit emprunter le cortège présidentiel.
Le temps est ensoleillé et la température, agréable.
Je m'avance et prends position sur la chaîne de trottoir. Du coin de l'œil, je distingue la masse inquiétante du dépôt de livres. L'immeuble m'apparaît plus imposant que l'idée que je m'en étais fait. Une impression probablement due à la position en contre-plongé que j'occupe par rapport à celui-ci. Je lève les yeux et repère la fenêtre d'où seront tirés, dans quelques minutes, les coups de feu. Je me mets à frissonner sans raison apparente.
Comme j'ai réussi depuis peu à calibrer mon appareil de manière à arriver à destination au moment désiré, il ne reste plus qu'à me fier à mon horloge biologique pour faire le décompte du temps écoulé depuis ma sortie du portail, que j'évalue approximativement à cinq minutes. J'ai amplement le temps d'atteindre le dépôt de livres dans les délais prévus. Je compte aller me positionner à l'angle Sud-Est de la bâtisse, et tendre l'oreille vers la fenêtre d'où claqueront les coups de feu. S'il y en a trois, pas de problème, ça voudra dire que la version officielle est la bonne. En deçà ou au delà, il y aura discordance. Je saurai alors qu'il y avait plus d'un tireur, et que les partisans de la thèse du complot avaient de bonnes raisons de la mettre en doute, cette version officielle.

( L'analyse acoustique allait plus tard démontrer que la radio d'un policier à motocyclette avait capté cinq impulsions correspondant peut-être aux ondes de choc et aux échos provoqués par des coups de fusil. )

L'endroit foisonne de policiers et d'agents des services secrets. Je n'ai aucunement l'intention de les alerter et ainsi modifier le cours normal des événements: ils sont inscrits en lettre de sang dans le grand livre de la destiné, et je me vois mal en découdre avec.
C'est le moment. Je m'ébranle en direction de l'immeuble. Je n'ai pas fait deux pas qu'un homme, caméra à la main, me bouscule au passage. Il bafouille des excuses et s'éloigne à grands pas en direction de Grassy Knoll. Je n'en crois pas mes yeux. Il s'agit de nul autre qu'Abraham Zapruder équipé de sa caméra 8mm. Sans le savoir, il allait produire dans quelques instants le document visuel le plus controversé du vingtième siècle. 486 frames qui allaient emballer pour des décennies à venir la machine à rumeur et susciter de vives polémiques. Wow! que je me dis, tout en tournant les talons.

Il est 12h 30 à l'horloge situé au somment du dépôt de livres quand je vois apparaître sur Main street la Lincoln Continental noire, précédés de deux policiers à moto qui ouvrent le chemin. Ils tournent à droite et s'engagent sur Houston street.
Le tireur va faire feu dans moins d'une minute.
Inconscient du drame qui se profile à l'horizon, le visage fendu d'un large sourire, le président salue la foule de la main. Alors que je vois le cortège s'amener vers moi à basse vitesse, je ne peux m'empêcher d'être d'accord avec ceux qui questionnent le jugement du tireur. Le cortège étant en droite ligne avec la fenêtre du cinquième étage, pourquoi Oswald a-t-il attendu plus longtemps avant de passer aux actes? Les conditions étaient parfaites et la proie, vulnérable. Le saura-t-on jamais.
Toujours est-il que la limousine négocie présentement le virage serré menant sur Elm street. Radieux, Kennedy me décoche un sourire au passage. Je le salue de la main tout en lui rendant son sourire. Pauvre gars, que je me dis, si tu savais ce qui t'attend.
Je repère, au loin, juché sur un promontoire, Zapruder qui pointe sa précieuse caméra en direction du cortège Une femme se tient derrière lui. Elle semble le retenir par la manche de son manteau afin d'assurer sa stabilité pour lui permettre de filmer en toute sécurité. On apprendra plus tard qu'il s'agissait de sa secrétaire.

Voilà. On y est.
La limousine vient de franchir la première grappe de tilleuls.
Le tireur a maintenant le champ libre. Sa cible est verrouillée.
Je tends l'oreille tout en fixant mon attention sur un petit groupe de personnes, réuni sur le terre-plein central. L'un des hommes qui composent ce groupe recevra sous peu des éclats...
Il porte sa main à sa joue... Je n'ai rien entendu. J'imagine que c'était la
( balle no.1 )
Je lève la tête et vois un nuage de fumée se dissiper dans l'air.
Alors que je reporte mon attention sur le cortège, j'entends cette fois-ci très distinctement claquer le second coup de fusil. Kennedy porte ses deux mains au niveau de son menton. Placé juste devant lui, le gouverneur du Texas commence à afficher des signes de détresse. La
( balle no.2 )
magique vient de lui traverser le corps selon un angle improbable.
S'il doit se passer quelque chose d'anormale, c'est maintenant que ça doit se produire. Comme je médite sur cet aphorisme, une scène d'horreur s'offre à ma vue. Kennedy vient d'être atteint à la tête par la
( balle no.3 )
fatale.
Un halo rouge se forme au dessus de sa tête, suivit d'une projection de matière cervicale, qui va éclabousser le capot du véhicule. Vu d'ici, il me semble apercevoir un trou béant à la base de son crâne, d'où s'est glissé une partie de son cerveau. Horrifiée, le première dame grimpe sur le coffre arrière de la limousine, alors que les premiers cris d'effroi fusent du public.
Le reste fait parti de l'histoire.

Revenu de mes émotion, et déçu de ne pas avoir fait la lumière sur les événements survenus à Dallas, je décide d'aller rejoindre le portail à la faveur de l'agitation qui règne en ces lieux. L'adrénaline pulsant à grands jets dans mon organisme, je franchis la distance en un temps record. Arrivé sur place, je ne perds pas une minute et me précipite à l'entrée du trou de ver.
Au moment précis où je commence à franchir le seuil du portail, je penche la tête et remarque avec stupéfaction la présence d'un objet de forme oblongue et cylindrique fiché dans l'empeigne de mon soulier.
Nom d'une trace de break de bobette! que je me dis. Et si c'était la
( balle no.4? )

Prochaine destination: Rimouski.













mercredi 20 mai 2009

Station no1

Montréal, 9 décembre 1955, 17:08hr.

Rowan Atkinson ( MR. Bean ) est venu au monde en janvier. Winston Churchill démissionnera de ses fonctions de premier-ministre le 7 avril suivant, alors qu'Einstein devait mourir onze jours plus tard, c'est-à-dire 235 jours avant ma propre arrivée sur Terre.
C'est très précisément sur le 9 décembre 1955 que j'avais réglé mon cadran spatio-temporel. Du large éventail de possibilités qui s'offrait à moi, il m'a semblé intéressant d'entreprendre mon odyssée là où tout avait commencé, à savoir le jour de ma naissance à l'hôpital Notre-Dame de Montréal. Comme je savais être né aux environs de 16:20hr., je me suis donc arrangé pour débarquer sur place moins d'une heure plus tard. Si jamais il devait y avoir des choses intéressantes à savoir sur cet événement ( heureux? ) c'était dans les minutes suivant l'accouchement que je risquais d'en apprendre le plus. Et je ne fut pas déçu.

Comme le hasard fait souvent bien les choses, le trou de ver m'a fait atterrir à la naissance d'un long corridor, dont le mur gauche est troué de larges baies vitrées donnant sur la pouponnière de l'hôpital Notre-Dame.
La première chose qui me frappe en arrivant sur place est l'odeur d'éther qui flotte dans l'air.
Le corridor est désert. De la pouponnière me parviennent les pleurs des nouveaux-nés.
Comme c'est mon premier voyage dans le temps, j'ignore si tout s'est passé comme prévu. Afin de vérifier si j'ai bien atterri au bon moment, je consulte ma montre: 21:38hr. Comme je m'en doutais, les voyages temporels n'affectaient en rien le bon fonctionnement des objets mécaniques issus de mon époque, j'en avais maintenant la preuve. Pour l'heure, je verrai plus tard, restait à m'assurer que c'était la bonne date. Je balaie le corridor du regard et repère une porte, sur ma droite. Qui sait, peut-être y trouverai-je un journal, ou à tout le moins un calendrier susceptible d'éclairer mes lanternes.
Comme je suis sur le point d'amorcer un premier pas, je vois deux personnes déboucher au bout du corridor. Même après toutes ces années, je les reconnais facilement. Il s'agit de la femme qui m'a porté en son sein et de l'homme qui partage sa vie. Ils vont s'installer devant les baies vitrées de la pouponnière.

Je retranscris textuellement le dialogue qui s'ensuit.
L'infirmière ( dans la pouponnière ): '' Voulez-vous le voir de plus près? ''
L'homme: '' Peux m'en passer. ''
La génitrice: '' Maman m'a dit qu'elle allait s'arranger avec... ''
L'homme: '' C'est mieux d'être vrai. Y'est pas question qu'il mette les pieds dans l'appartement. ''
La génitrice: '' Je sais pas ce que je ferais sans toi. ''
L'homme: '' T'as une chance de cocu, oui. ''
La génitrice: '' Je suis fatiguée. Retournons dans la chambre, Henri.''
L'infirmière: '' Regardez comme il est mignon. Il est langé de frais. ''
L'homme: '' S'il tu le trouves si beau, gène-toi pas, tu peux toujours le garder, le bâtard. Ça en fera toujours un de moins à vivre au crochet de la société. ''
La génitrice: '' Henri! ''
L'homme: '' Ta gueule! T'avais juste à pas te faire engrosser par ton trou-de-cul d'américain... ''
L'infirmière: '' Inutile d'être impoli. Je vais aller me plaindre... ''

Le visage déformé par la colère, l'homme assène sur la vitre une formidable taloche, avant de tourner les talons et de repartir en direction d'où il est arrivé.
Plantée sur place, la génitrice se tient le ventre d'une main tout en jetant des regards furtifs par-delà la cloison vitrée.
Même si je me doutais depuis longtemps que les choses avaient pu, à peu de chose près, se dérouler de la manière dont je venais d'être témoin, cela me fit quand même quelque chose. Se faire dire par quelqu'un que l'on n'avait pas été désiré est une chose, mais d'être directement témoin du mépris que ma venue au monde avait inspirée aux acteurs de ce mélodrame en est une autre.
Toute difficile que fut cette épreuve, je décidai que l'heure n'était pas aux atermoiements, mais plutôt à l'action. Prenant mon courage à deux mains, le cœur tambourinant dans ma poitrine, je m'approche à petits pas de la génitrice. Arrivé près d'elle, je fais fi de sa présence et fixe mon attention sur la petite chose fragile que j'étais dans le temps. L'infirmière me tient toujours dans ses bras. De l'index de sa main gauche, elle tapote le bout de mon nez tout en tirant la langue et faisant des prout! avec sa bouche.
On sanglote sur ma gauche. Je tourne la tête, et m'aperçois que la génitrice peine à contenir ses émotions. Elle a porté sa main au visage. Ses épaules tressautent au rythme de sa respiration désordonnée.
En temps ordinaire j'aurais fait preuve de commisération et aurais entamé la conversation avec la personne affligée, mais là, ça ne me disait rien. Honnêtement, je me fiche d'elle comme de ma première chemise.

Je suis sur le point de lui balancer quelque formule spirituelle de mon cru quand la voix de la raison de se fait entendre pour me déconseiller de le faire. À tout bien considérer, elle a parfaitement raison cette petite voix, que j'aime appeler tendrement Maryline. Cela fait désormais parti de mon passé, et il ne sert à rien de le ressasser. Je n'ai même pas le goût de partir en guerre contre cette femme. Inutile de jouer le rôle du fils revanchard. Si ça se trouve, elle a peut-être elle-même souffert toute sa vie de cette séparation. Combien de femmes, du temps où elle s'est retrouvée fille-mère, ont dû tout comme elle se résigner à abandonner leur enfant conçu hors des liens du mariage? J'ose à peine imaginer la tristesse et l'affliction qu'elles ont dû éprouver.
Pauvre femme.

Il me reste encore de bien belles années devant moi.
Et j'ai bien l'intention de les traverser le cœur léger.


Prochaine destination: Dallas.









mardi 19 mai 2009

Préambule



Certains auteurs de science-fiction se servent du concept de trou de ver pour appuyer leur argumentation selon laquelle il est tout à fait envisageable de pouvoir un jour voyager dans le temps. La théorie de la relativité générale d'Albert Einstein semble vouloir leur donner raison. En effet, il existerait, ici et là dans l'univers, des courbures spatio-temporelles susceptibles de faire franchir à un spationaute téméraire les frontières du temps.
Partant de ce postulat, je me propose
de voyager dans le temps au cours de la prochaine année - il s'adonne que je me suis gossé à temps perdu un portail spatio-machin-truc sur un des murs de ma chambre à coucher. Je vais voyager à différentes époques de l'humanité ( passé ou futur ), fouler des terres hostiles, visiter des pays exotiques, me fondre dans la masse. Je vais décrire, en direct, les événements historiques se déroulant devant mes yeux. Recueillir les témoignages de quidams et livrer mes états d'âme du moment, à raison d'un billet par ci par là. Tout ça sur un ton tantôt humoristique, tantôt émotif, tantôt dramatique.
Je ne suis ni historien, ni anthropologue, ni professeur de chant...
Je fais cette démarche pour le plaisir de la recherche et de l'expression artistique.
Je vous invite à franchir avec moi ce fameux trou de ver, et partir à l'aventure.

Première destination: Montréal.