lundi 25 mai 2009

Station no2

Dallas, 22 novembre 1963, 12h 01.

De tous les événements tragiques qui ont émaillé l'histoire contemporaine, l'assassinat de John F. Kennedy demeure à mes yeux le parfait exemple de cover up institutionnalisé. Même si l'on est tenté d'attribuer la paternité de la désinformation à une certaine presse communiste, force est de constater qu'à ce chapitre, les autorités gouvernementales américaines sont loin d'être des novices en la matière. Qui n'a pas au moins une fois mis en doute la thèse officielle selon laquelle Lee Harvey Oswald ait été l'unique responsable de cet assassinat? N'a-t-il pas dit aux inspecteurs chargés de l'enquête n'avoir été qu'un pigeon dans toute cette affaire? Difficile de répondre à ces questions si l'on a pas été soi-même sur la scène de crime.

Je sais, pour l'avoir lu quelque part, que Oswald allait prendre position derrière la fenêtre Est du cinquième étage du dépôt de livres scolaires sur Elm Street à 12h 29 très précise. Armé de cette information, je décide d'arriver 30 minutes plus tôt, histoire de me familiariser avec les lieux et de m'imprégner de l'ambiance qui y règne. Le trou de ver me régurgite près d'un pergola, derrière une rangée de tilleuls longeant le côté droit de Elm Street.
Les gens ont déjà commencé à affluer. Ils se positionnent le long des rues que doit emprunter le cortège présidentiel.
Le temps est ensoleillé et la température, agréable.
Je m'avance et prends position sur la chaîne de trottoir. Du coin de l'œil, je distingue la masse inquiétante du dépôt de livres. L'immeuble m'apparaît plus imposant que l'idée que je m'en étais fait. Une impression probablement due à la position en contre-plongé que j'occupe par rapport à celui-ci. Je lève les yeux et repère la fenêtre d'où seront tirés, dans quelques minutes, les coups de feu. Je me mets à frissonner sans raison apparente.
Comme j'ai réussi depuis peu à calibrer mon appareil de manière à arriver à destination au moment désiré, il ne reste plus qu'à me fier à mon horloge biologique pour faire le décompte du temps écoulé depuis ma sortie du portail, que j'évalue approximativement à cinq minutes. J'ai amplement le temps d'atteindre le dépôt de livres dans les délais prévus. Je compte aller me positionner à l'angle Sud-Est de la bâtisse, et tendre l'oreille vers la fenêtre d'où claqueront les coups de feu. S'il y en a trois, pas de problème, ça voudra dire que la version officielle est la bonne. En deçà ou au delà, il y aura discordance. Je saurai alors qu'il y avait plus d'un tireur, et que les partisans de la thèse du complot avaient de bonnes raisons de la mettre en doute, cette version officielle.

( L'analyse acoustique allait plus tard démontrer que la radio d'un policier à motocyclette avait capté cinq impulsions correspondant peut-être aux ondes de choc et aux échos provoqués par des coups de fusil. )

L'endroit foisonne de policiers et d'agents des services secrets. Je n'ai aucunement l'intention de les alerter et ainsi modifier le cours normal des événements: ils sont inscrits en lettre de sang dans le grand livre de la destiné, et je me vois mal en découdre avec.
C'est le moment. Je m'ébranle en direction de l'immeuble. Je n'ai pas fait deux pas qu'un homme, caméra à la main, me bouscule au passage. Il bafouille des excuses et s'éloigne à grands pas en direction de Grassy Knoll. Je n'en crois pas mes yeux. Il s'agit de nul autre qu'Abraham Zapruder équipé de sa caméra 8mm. Sans le savoir, il allait produire dans quelques instants le document visuel le plus controversé du vingtième siècle. 486 frames qui allaient emballer pour des décennies à venir la machine à rumeur et susciter de vives polémiques. Wow! que je me dis, tout en tournant les talons.

Il est 12h 30 à l'horloge situé au somment du dépôt de livres quand je vois apparaître sur Main street la Lincoln Continental noire, précédés de deux policiers à moto qui ouvrent le chemin. Ils tournent à droite et s'engagent sur Houston street.
Le tireur va faire feu dans moins d'une minute.
Inconscient du drame qui se profile à l'horizon, le visage fendu d'un large sourire, le président salue la foule de la main. Alors que je vois le cortège s'amener vers moi à basse vitesse, je ne peux m'empêcher d'être d'accord avec ceux qui questionnent le jugement du tireur. Le cortège étant en droite ligne avec la fenêtre du cinquième étage, pourquoi Oswald a-t-il attendu plus longtemps avant de passer aux actes? Les conditions étaient parfaites et la proie, vulnérable. Le saura-t-on jamais.
Toujours est-il que la limousine négocie présentement le virage serré menant sur Elm street. Radieux, Kennedy me décoche un sourire au passage. Je le salue de la main tout en lui rendant son sourire. Pauvre gars, que je me dis, si tu savais ce qui t'attend.
Je repère, au loin, juché sur un promontoire, Zapruder qui pointe sa précieuse caméra en direction du cortège Une femme se tient derrière lui. Elle semble le retenir par la manche de son manteau afin d'assurer sa stabilité pour lui permettre de filmer en toute sécurité. On apprendra plus tard qu'il s'agissait de sa secrétaire.

Voilà. On y est.
La limousine vient de franchir la première grappe de tilleuls.
Le tireur a maintenant le champ libre. Sa cible est verrouillée.
Je tends l'oreille tout en fixant mon attention sur un petit groupe de personnes, réuni sur le terre-plein central. L'un des hommes qui composent ce groupe recevra sous peu des éclats...
Il porte sa main à sa joue... Je n'ai rien entendu. J'imagine que c'était la
( balle no.1 )
Je lève la tête et vois un nuage de fumée se dissiper dans l'air.
Alors que je reporte mon attention sur le cortège, j'entends cette fois-ci très distinctement claquer le second coup de fusil. Kennedy porte ses deux mains au niveau de son menton. Placé juste devant lui, le gouverneur du Texas commence à afficher des signes de détresse. La
( balle no.2 )
magique vient de lui traverser le corps selon un angle improbable.
S'il doit se passer quelque chose d'anormale, c'est maintenant que ça doit se produire. Comme je médite sur cet aphorisme, une scène d'horreur s'offre à ma vue. Kennedy vient d'être atteint à la tête par la
( balle no.3 )
fatale.
Un halo rouge se forme au dessus de sa tête, suivit d'une projection de matière cervicale, qui va éclabousser le capot du véhicule. Vu d'ici, il me semble apercevoir un trou béant à la base de son crâne, d'où s'est glissé une partie de son cerveau. Horrifiée, le première dame grimpe sur le coffre arrière de la limousine, alors que les premiers cris d'effroi fusent du public.
Le reste fait parti de l'histoire.

Revenu de mes émotion, et déçu de ne pas avoir fait la lumière sur les événements survenus à Dallas, je décide d'aller rejoindre le portail à la faveur de l'agitation qui règne en ces lieux. L'adrénaline pulsant à grands jets dans mon organisme, je franchis la distance en un temps record. Arrivé sur place, je ne perds pas une minute et me précipite à l'entrée du trou de ver.
Au moment précis où je commence à franchir le seuil du portail, je penche la tête et remarque avec stupéfaction la présence d'un objet de forme oblongue et cylindrique fiché dans l'empeigne de mon soulier.
Nom d'une trace de break de bobette! que je me dis. Et si c'était la
( balle no.4? )

Prochaine destination: Rimouski.













mercredi 20 mai 2009

Station no1

Montréal, 9 décembre 1955, 17:08hr.

Rowan Atkinson ( MR. Bean ) est venu au monde en janvier. Winston Churchill démissionnera de ses fonctions de premier-ministre le 7 avril suivant, alors qu'Einstein devait mourir onze jours plus tard, c'est-à-dire 235 jours avant ma propre arrivée sur Terre.
C'est très précisément sur le 9 décembre 1955 que j'avais réglé mon cadran spatio-temporel. Du large éventail de possibilités qui s'offrait à moi, il m'a semblé intéressant d'entreprendre mon odyssée là où tout avait commencé, à savoir le jour de ma naissance à l'hôpital Notre-Dame de Montréal. Comme je savais être né aux environs de 16:20hr., je me suis donc arrangé pour débarquer sur place moins d'une heure plus tard. Si jamais il devait y avoir des choses intéressantes à savoir sur cet événement ( heureux? ) c'était dans les minutes suivant l'accouchement que je risquais d'en apprendre le plus. Et je ne fut pas déçu.

Comme le hasard fait souvent bien les choses, le trou de ver m'a fait atterrir à la naissance d'un long corridor, dont le mur gauche est troué de larges baies vitrées donnant sur la pouponnière de l'hôpital Notre-Dame.
La première chose qui me frappe en arrivant sur place est l'odeur d'éther qui flotte dans l'air.
Le corridor est désert. De la pouponnière me parviennent les pleurs des nouveaux-nés.
Comme c'est mon premier voyage dans le temps, j'ignore si tout s'est passé comme prévu. Afin de vérifier si j'ai bien atterri au bon moment, je consulte ma montre: 21:38hr. Comme je m'en doutais, les voyages temporels n'affectaient en rien le bon fonctionnement des objets mécaniques issus de mon époque, j'en avais maintenant la preuve. Pour l'heure, je verrai plus tard, restait à m'assurer que c'était la bonne date. Je balaie le corridor du regard et repère une porte, sur ma droite. Qui sait, peut-être y trouverai-je un journal, ou à tout le moins un calendrier susceptible d'éclairer mes lanternes.
Comme je suis sur le point d'amorcer un premier pas, je vois deux personnes déboucher au bout du corridor. Même après toutes ces années, je les reconnais facilement. Il s'agit de la femme qui m'a porté en son sein et de l'homme qui partage sa vie. Ils vont s'installer devant les baies vitrées de la pouponnière.

Je retranscris textuellement le dialogue qui s'ensuit.
L'infirmière ( dans la pouponnière ): '' Voulez-vous le voir de plus près? ''
L'homme: '' Peux m'en passer. ''
La génitrice: '' Maman m'a dit qu'elle allait s'arranger avec... ''
L'homme: '' C'est mieux d'être vrai. Y'est pas question qu'il mette les pieds dans l'appartement. ''
La génitrice: '' Je sais pas ce que je ferais sans toi. ''
L'homme: '' T'as une chance de cocu, oui. ''
La génitrice: '' Je suis fatiguée. Retournons dans la chambre, Henri.''
L'infirmière: '' Regardez comme il est mignon. Il est langé de frais. ''
L'homme: '' S'il tu le trouves si beau, gène-toi pas, tu peux toujours le garder, le bâtard. Ça en fera toujours un de moins à vivre au crochet de la société. ''
La génitrice: '' Henri! ''
L'homme: '' Ta gueule! T'avais juste à pas te faire engrosser par ton trou-de-cul d'américain... ''
L'infirmière: '' Inutile d'être impoli. Je vais aller me plaindre... ''

Le visage déformé par la colère, l'homme assène sur la vitre une formidable taloche, avant de tourner les talons et de repartir en direction d'où il est arrivé.
Plantée sur place, la génitrice se tient le ventre d'une main tout en jetant des regards furtifs par-delà la cloison vitrée.
Même si je me doutais depuis longtemps que les choses avaient pu, à peu de chose près, se dérouler de la manière dont je venais d'être témoin, cela me fit quand même quelque chose. Se faire dire par quelqu'un que l'on n'avait pas été désiré est une chose, mais d'être directement témoin du mépris que ma venue au monde avait inspirée aux acteurs de ce mélodrame en est une autre.
Toute difficile que fut cette épreuve, je décidai que l'heure n'était pas aux atermoiements, mais plutôt à l'action. Prenant mon courage à deux mains, le cœur tambourinant dans ma poitrine, je m'approche à petits pas de la génitrice. Arrivé près d'elle, je fais fi de sa présence et fixe mon attention sur la petite chose fragile que j'étais dans le temps. L'infirmière me tient toujours dans ses bras. De l'index de sa main gauche, elle tapote le bout de mon nez tout en tirant la langue et faisant des prout! avec sa bouche.
On sanglote sur ma gauche. Je tourne la tête, et m'aperçois que la génitrice peine à contenir ses émotions. Elle a porté sa main au visage. Ses épaules tressautent au rythme de sa respiration désordonnée.
En temps ordinaire j'aurais fait preuve de commisération et aurais entamé la conversation avec la personne affligée, mais là, ça ne me disait rien. Honnêtement, je me fiche d'elle comme de ma première chemise.

Je suis sur le point de lui balancer quelque formule spirituelle de mon cru quand la voix de la raison de se fait entendre pour me déconseiller de le faire. À tout bien considérer, elle a parfaitement raison cette petite voix, que j'aime appeler tendrement Maryline. Cela fait désormais parti de mon passé, et il ne sert à rien de le ressasser. Je n'ai même pas le goût de partir en guerre contre cette femme. Inutile de jouer le rôle du fils revanchard. Si ça se trouve, elle a peut-être elle-même souffert toute sa vie de cette séparation. Combien de femmes, du temps où elle s'est retrouvée fille-mère, ont dû tout comme elle se résigner à abandonner leur enfant conçu hors des liens du mariage? J'ose à peine imaginer la tristesse et l'affliction qu'elles ont dû éprouver.
Pauvre femme.

Il me reste encore de bien belles années devant moi.
Et j'ai bien l'intention de les traverser le cœur léger.


Prochaine destination: Dallas.









mardi 19 mai 2009

Préambule



Certains auteurs de science-fiction se servent du concept de trou de ver pour appuyer leur argumentation selon laquelle il est tout à fait envisageable de pouvoir un jour voyager dans le temps. La théorie de la relativité générale d'Albert Einstein semble vouloir leur donner raison. En effet, il existerait, ici et là dans l'univers, des courbures spatio-temporelles susceptibles de faire franchir à un spationaute téméraire les frontières du temps.
Partant de ce postulat, je me propose
de voyager dans le temps au cours de la prochaine année - il s'adonne que je me suis gossé à temps perdu un portail spatio-machin-truc sur un des murs de ma chambre à coucher. Je vais voyager à différentes époques de l'humanité ( passé ou futur ), fouler des terres hostiles, visiter des pays exotiques, me fondre dans la masse. Je vais décrire, en direct, les événements historiques se déroulant devant mes yeux. Recueillir les témoignages de quidams et livrer mes états d'âme du moment, à raison d'un billet par ci par là. Tout ça sur un ton tantôt humoristique, tantôt émotif, tantôt dramatique.
Je ne suis ni historien, ni anthropologue, ni professeur de chant...
Je fais cette démarche pour le plaisir de la recherche et de l'expression artistique.
Je vous invite à franchir avec moi ce fameux trou de ver, et partir à l'aventure.

Première destination: Montréal.