lundi 15 juin 2009

Station no4

Jérusalem, 7 avril 30.

Lorsqu'il s'agit de traverser les époques pour aller valider par soi-même un événement historique, la première chose utile à savoir avant de se lancer dans l'entreprise est la date précise à laquelle ledit événement a eu lieu ( de même que l'heure, si elle est disponible). Dans le cas de Dallas, tout le monde s'accorde pour dire que l'action s'est déroulée aux alentours de midi le 22 novembre 1963. Pour m'y rendre, je n'avais eu qu'à entrer les informations dans le l'engin spatio-temporel et le tour était joué.
J'aurais aimé que les choses soient aussi simples pour Jérusalem.

Avant d'aller plus loin j'aimerais souligner que j'ai longtemps hésité avant d'entreprendre ce périple en Terre sainte. Non seulement à cause des défis logistiques que cela allaient représenter, mais à cause surtout de la singularité du projet et de la possible perspective d'ébranler les fondements même du catholicisme. C'est pas que je sois un sceptique fini à la Dan Brown, mais avouez que si l'histoire de Jésus de Nazareth et de ses disciples s'avérait n'être rien d'autre qu'une construction de l'esprit, rapporter les faits tels que je les aurai vécus serait un exercice plutôt périlleux. On a frappé d'anathème des individus pour moins que ça.
Pour la toute première fois de mon existence, j'allais être confronté à un dilemme existentielle aux proportions bibliques - c'est le cas de le dire.
Question: Si tant est qu'il y en aient, devrais-je rendre public ou non les omissions, les inexactitudes, ou pire, l'absence d'événement, dont je risquais d'être témoin? Et ainsi causer une commotion parmi la cohorte de fidèles qu'accueillaient chaque jour en ses murs des milliers d'églises disséminées aux quatre coins du globe?
Les Évangiles sont la clef de voûte des cathédrales. Les mettre à mal reviendrait à redonner le libre-arbitre aux croyants, et ainsi encourir le risque de voir s'étioler leur foi indéfectible en un être suprême.
À grand pouvoir correspond grande responsabilité que disait l'oncle de Spider-man... Ainsi soit-il.

Donc, si je voulais voir ma mission couronnée de succès, il me fallait à tout prix connaître la date précise à laquelle Jésus de Nazareth était monté en croix. La réponse à cette question variait selon les interprétations que tiraient des Saintes-Écritures les exégètes de l'époque. Les évangiles selon Mathieu et selon Luc situe la naissance du Christ entre -9 et -2. Il n'y avait qu'une chose sur laquelle on pouvait être sûre: le Fils de l'homme serait né sous le règne d'Hérode, qui prit fin en 4 avant notre ère. Ce qui ramenait mon champ d'exploration à 3 ans. Étant donné que Jésus serait mort à l'âge de 33 ans, suffisait de faire un simple calcul mathématique pour en déduire l'année. Restait à trouver le moment précis dans l'année où il aurait été crucifié. Si je me fies aux Évangiles synoptiques, la crucifixion aurait eu lieu le jour de la préparation de la Pâque juive, que mes recherches ultérieures auront situé le vendredi 7 avril 30 ou le vendredi 3 avril 33, cette dernière date étant à mes yeux la plus susceptible d'être la bonne, si l'on considère que la naissance du Christ correspond à l'an un du calendrier grégorien.
Seriez-vous étonné d'apprendre que je m'étais trompé?
Me voici donc en route pour Jérusalem en date du 7 avril 30, 3hrs ( GMT +02:00 ).

Pour n'y avoir jamais mis les pieds, j'ignore à quoi peut ressembler la Jérusalem contemporaine. Une chose que je sais, par contre, c'est que Ariel Sharon, premier ministre d'Israël de 2001 à 2006, a fait ériger une barrière de séparation en 2005( qualifiée de mur de la honte par ses détracteurs ), entre Jérusalem et la Cisjordanie, dans le but d'empêcher toute intrusion terroriste palestinienne.
Le rapport avec le Jérusalem du début de l'ère chrétienne, que vous vous dites?
Eh bien, c'est la première chose qui m'a frappé en arrivant sur place. J'entends par là que la version antique de cette ville est de même ceinturée d'un mur de protection, sensé lui aussi empêcher toute invasion barbares. C'est fou comme les choses ont si peu évolué en 20 siècles.
Bon, voilà pour la portion éditoriale du billet. Passons maintenant aux choses sérieuses. Et Dieu sait qu'elles l'ont été.

Je débouche du trou de ver au Nord-Est de la Ville sainte, là où je sais s'y trouver le palais de Caïphe et de Anne, son beau-père. Si l'on en croit les Évangiles, Jésus doit déjà subir leurs interrogatoires à l'heure qu'il est.
Afin de ne pas attirer l'attention des vigies qui arpentent le périmètre de la ville, je me suis caché derrière un empilage de cageots remplis de légumes. Pour tout dire, j'ai la frousse. J'ai eu beau prendre mes précautions en revêtant une tunique, en me glissant des sandales aux pieds et en me brunissant la peau du visage à grand coup d'application de cire à chaussure, j'ai tout de même peur d'être démasqué. Sachant comment les Romains traitent leurs prisonniers, pas sûr que ça me tente de tomber entre leurs mains.
Je me faufile subrepticement à la faveur de la nuit entre les habitations de la ville pour rallier un endroit qui, je l'espérais, allait me permettre de voir de quoi il retourne de toute cette histoire de Messie, sans attirer l'attention. Comme il m'est impossible d'assister en personne à la comparution du ( Christ? ) devant Caïphe sans risquer d'y laisser moi-même des plumes je me contente d'aller attendre son arrivée dans la petite cour du Temple, là où Ponce Pilate allait plus tard demander aux juifs présents lequel d'entre lui ou de Barabbas ils souhaitaient voir libérer.

J'entends tout près résonner le champ du coq; d'instinct, je fais le rapprochement entre cet événement anodin et celui de Pierre qui devait renier trois fois le (Christ? ) avant la prestation du volatile. Est-ce le cas? Je ne peux en témoigner de l'endroit où je me situe. De toute façon, je ne suis venu ici que pour une chose, assister à la Passion. Le reste m'importe peu.

J'ignore combien de temps il s'est écoulé depuis mon arrivée dans la cour du Temple. Toujours est-il que, de ma cachette, je vois des gens commencer à pénétrer par petits groupes dans l'enceinte de la cour. Au fur et à mesure que la foule gagne en importance, je sens une certaine frénésie s'installer. Ils discutent à mots couverts tout en trépignant et jetant des regards inquiets en direction des centurions qui montent la garde. De part leurs attitudes, je prends note que les Romains n'éprouvent que mépris envers ceux qu'ils doivent surement considérer comme étant d'une race inférieure.
Comme un seul homme, tous les regards se tournent subitement vers un balcon qui surplombe la cour, plus loin sur ma gauche. Abrité derrière une colonne, je jette un coup d'œil dans cette direction, pour m'apercevoir qu'une dizaine de personnes s'y sont regroupées. Un homme se détache du lot. L'air suffisant et la démarche martiale, il s'approche de la balustrade. Sitôt atteinte, il déclame à haute voix tout en désignant un homme de sa main gauche: ecce homo ( voici l'homme! ) Une clameur s'élève de la foule. Ponce Pilate s'empare d'un manteau de pourpre que vient de lui tendre un subordonné, qu'il va déposer sur le dos du prisonnier.
Je suis conscient que le moment est mal choisi pour perdre les pédales, mais à la vue de celui que pointe du doigt Ponce Pilate, je ne peux m'empêcher de ressentir une profonde empathie pour le malheureux, doublé d'une haine primitive envers ceux qui sont responsables de son état. Il apparait évident que l'homme a subi une sévère raclée. Ceux qui lui ont infligés ses blessures n'y ont pas été avec le dos de la cuillère. C'est à peine si on peut distinguer ses traits derrière le masque sanguinolent qu'ils lui ont confectionné.

( L'analyse du ( saint-suaire? ) allait plus tard révéler que l'impression laissée par le visage de l'homme sur le tissu portait des marques de violence apparente, tels que la pommette gauche tuméfiée et excoriée, les arcades sourcilières enflées, le cartilage nasal cassé... ).

Écœuré, je m'interroge sur l'utilité d'assister à un tel spectacle. J'aurais tellement mieux fait de rester chez moi.

Dans la foule, c'est devenu la folie furieuse. On chahute et on se bouscule à qui mieux mieux. Glaive à la main, les gardes semblent sur le point de perdre patience et d'embrocher le premier venu. Un homme vêtu d'une tunique rouge ( Caïphe? ) lève le bras et pointe de l'index le ciel nuageux. Il beugle des imprécations en araméen, dont je ne saisis pas un traitre mot. Les juifs retrouvent leur calme comme par magie. Le prêtre fait volte-face et commence à fustiger le préfet qui, pendant tout ce temps, avait assisté au spectacle sans broncher. On lit une grande lassitude sur les traits de son visage. Tel que décrit dans les Évangiles, le préfet fait s'avancer à l'avant-scène un homme corpulent d'aspect repoussant. D'un geste las de la main, il fait signe à un de ses subalternes de faire s'avancer vers l'avant celui que je présume être Jésus de Nazareth, dit le Messie. Le préfet s'adresse à la foule tout en désignant à tour de rôle les deux prisonniers. Même si je ne saisis pas un traitre mot de ce qui se dit, je suis tout de même en mesure de décoder le langage non-verbal. Il apparait évident que la foule n'en a que pour ( Barabbas? ). Chose réglée, le préfet tourne les talons et disparait dans les entrailles du Temple avec sa suite. Un garde demeuré sur place retire les fers de Barabbas, qui les brandit au ciel en signe de victoire, alors qu'un autre agrippe ( Jésus? ) par les cheveux et l'entraine sans ménagement vers une sortie latérale.

Est-ce le Messie que l'on traine ainsi de force hors du Temple? Est-ce le thaumaturge dont on a souvent souligner les exploits? Celui qui portera sur ses épaules tous les péchés des hommes du haut de la croix?
Je suis incapable de répondre à ces questions. Tout ce que je peux dire c'est qu'il s'est effectivement passé un événement en ces lieux qui colle en partie aux Évangiles.
Oh, pendant que j'y pense: le supplicié que Ponce Pilate a pointé du doigt, contrairement à ce qui est écrit dans la bible, est imberbe. Un léger détail, j'en conviens, mais un détail qui mérite tout de même d'être souligné.

Je pourrais rester sur place encore quelques heures, assister au chemin de croix et à la crucifixion, mais à quoi bon. Tout ce que je risque de gagner pour ma peine c'est de me farcir une dépression nerveuse. Je suis disposé à me rendre utile en témoignant des choses du passé, mais pas au détriment de ma santé physique et mentale.
Donc, en ce jour d'avril 30 je remballe mon paquetage et me dirige d'un pas décidé vers l'entrée du désormais célèbre trou de ver. Je me faufile parmi la faune locale et en profite pour sortir de la cour du Temple incognito, sous les regards méprisants des gardes armés ( je ris sous cape de leurs jupettes ridicules ). Du moins avais-je cru rire sous cap... jusqu'à ce qu'un garde un peu plus dégourdi que les autres ne me repère dans la marée humaine, et ne m'intime l'ordre de cesser d'avancer. Comme je l'ai déjà mentionné, je suis assez habile à décoder le langage verbal. Il m'était inutile de connaître les subtilités de la langue locale pour savoir que le garde en question me réservait une surprise de son cru, qui n'avait rien à voir avec l'hospitalité que l'on réserve habituellement aux invités de passage. J'agrippe le rebord de ma tunique à deux mains, me débarrasse de chacune de mes sandales d'un coup de pied ( aie, ça va faire mal sur le gravier ) et me met à courir de toutes mes forces en direction du portail. Heureusement, celui-ci est tout près, et la masse compact des badauds allait couvrir ma fuite. Je pivote la tête et me rends compte que mon poursuivant s'est fait seconder par deux de ses confrères qui, eux, tentent de me coincer par la gauche. Aviser de cette tactique, je bifurque soudainement vers ma droite et me remets presque aussitôt dans la file, augmente la cadence de mes pas pour dépasser une dizaine d'individus, et braque subitement sur ma droite afin de rejoindre le Golgotha, qui est tout à côté de ma destination finale. On éructe et vocifère dans mon dos. Inutile de me retourner: j'ai une vague idée des faces de demeurés qu'ils doivent affichées. Les petits gravillons qui jalonnent mon parcours labourent la chair de mes pieds comme autant de petites aiguilles acérées. À un point tel que c'est plus sur les genoux que sur les pieds que j'atteins la base de la colline. Le visage ruisselant de sueurs et des lambeaux de chairs me pendant aux pieds, je jette un rapide coup d'œil derrière moi, pour m'apercevoir que les brutes qui étaient à mes trousses ont abandonné la poursuite pour consacrer leur temps libre à la chasse aux juifs. Une dizaine de leurs confrères sont venus les rejoindre, et tout ce beau monde s'en donne à cœur joie avec la populace.
Rasséréné, je me relève avec précaution et m'en vais rejoindre l'entrée du trou de ver en claudiquant. Plus bas, sur ma gauche, sur l'invitation musclée des Romains, les gens ont commencés à se corder en rangs d'oignons de chaque côté de la route. La plupart d'entre eux braquent leurs regards vers un point situé hors de ma vue. Des cris fusent de la foule. L'agitation règne en maître.
Les Romains font preuves de nervosité, ce qui ne leur ressemble guère.
L'objet de curiosité sors de derrière le feuillage des oliviers matures, en contre-bas.

Et je vois...
Le supplicié...
Patibulum sur les épaules...
Couronne d'épines sur la tête...
Tunique en lambeaux sur le dos...

Est-ce le fils de Dieu?
Je ne suis pas plus avancé que je ne l'étais en arrivant.
Frustrant!

Prochaine destination: la Pangée.

















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